L'innocence


Beau fantôme de l'innocence, 
Vêtu de fleurs, 
Toi qui gardes sous ta puissance 
Une âme en pleurs !

Ô toi qui devanças nos hontes 
Et nos revers, 
Es-tu si grand que tu surmontes 
Tout l'univers !

Le reste, comme la poussière, 
S'est envolé, 
Devant le feu de ma paupière 
Tout s'est voilé,

Tout s'est enfui, flamme et fumée, 
Tout est au vent ; 
Toi seul sur mon âme enfermée 
Planes souvent.

Pour courir à ta voix qui crie : 
« Éternité ! » 
Pour monter à Dieu que je prie, 
J'ai tout jeté.

La nuit, pour chasser un mensonge 
Qui me fait peur, 
Ta main, plus forte que le songe, 
Étreint mon coeur.

Quelle absence est assez profonde 
Pour te braver, 
Quand ton regard perce le monde 
Pour nous trouver ?

De mon âme ont jailli des âmes 
Dignes de toi : 
Au milieu de ces pures flammes, 
Ressaisis-moi !

Beau fantôme de l'innocence 
Vêtu de fleurs, 
Oh ! Garde bien en ta puissance 
Notre âme en pleurs.

Marceline Desbordes-Valmore